Jean-Paul Michel, "Quand on vient d'un monde d'idées, la surprise est énorme", VVV éd./ William Blake & Co

Les Éditions VVV (Canada) et William Blake & Co. se sont de nouveau associées pour publier un ouvrage de Jean-Paul Michel. Il s'agit cette fois d'un ensemble de poèmes qui ont été choisis et traduits par Michael Bishop. Le titre de cette anthologie, Quand on vient d'un monde d'Idées, la surprise est énorme, fait écho aux titres programmatiques des deux précédents livres : Stupeur et joie de devoirs nouveaux (2009) et Placer l'être en face de lui-même (2010). Les poèmes qui la constituent envisagent ce qui est, lui donnent visage et lui font face. Ils sont autant de réponses, tentées, esquissées et remises sans cesse sur le métier, à ce devoir auquel « la grande vérité oblige ». Devoir de lucidité et devoir du chant, d'accueil, dans une même puissance d'affirmation, de ce qui désespère comme de ce qui porte à la ferveur. Devoir de nudité – qui est celle d'abord de l'enfance – mais aussi de connaissance de son impossibilité. La poésie de Jean-Paul Michel s'inscrit dans la filiation du romantisme allemand, elle en a la hauteur et la puissance inquiète de questionnement :


Puissions-nous quelque jour saluer
plaisir et douleur visages choses simples, - qu'ils
s'illuminent avec délicatesse dans des tons réels
comme fleurs dans la haie ou table
dressée pour des fêtes l'été bénir
d'un coeur reconnaissant la chance
d'avoir aimé [Ô
les jeux des enfants dans la pièce fraîche quand
hier seulement nous
doutions ]
 
Éd. VVV : http://www.ednsvvv.com
 

 

 

Benjamin Fondane, "La conscience malheureuse", Verdier

Les Éditions Verdier viennent de rééditer une livre essentiel de Benjamin Fondane, "La conscience malheureuse" (350 p., 20, 50€). L'ouvrage doit être lu en regard des "Chiens de garde" de Nizan, du "Pour la poésie" de Cassou et bien sûr des oeuvres de Léon Chestov. Une des deux épigraphes qui ouvrent le livre est empruntée à ce dernier : "Que se réalise donc la promesse : "Il n'y aura rien d'impossible pour vous !"". L'autre appartient à Aristote : "L'homme n'aspire pas à l'impossible. Et, s'il y aspire, tout le monde le considérera, comme un faible d'esprit." C'est à ce dernier et, à travers lui, à la raison - et à ce qu'elle peut avoir de désespérément raisonnable -  que Benjamin Fondane répond, dès sa "Préface pour l'aujourd'hui"  : "De toute manière, rien ne nous fera admettre que l'on n'entreprend une lutte que parce qu'on la suppute facile et réalisant ses buts immédiatement - et que l'homme puisse se refuser à une lutte autrement plus grave, contre un adversaire autrement plus terrible, uniquement parce que les chances de gagner apparaissent à première vue, utopiques et improbables. Tant que la réalité sera telle qu'elle est, de manière ou d'autre - par le poème, par le cri, par la foi ou par le suicide - l'homme témoignera de son irrésignation, dût cette irrésignation être - ou paraître - absurdité et folie."

À quoi Benjamin Fondane ne veut-il pas se résigner : à la condition malheureuse de l'homme,  à la tentation de négliger la dimensiton métaphysique de cette condition au profit de sa seule dimension historique sous prétexte que seule cette dernière serait commensurable à l'action humaine, à l'oubli, enfin, et au sacrifice de la dimension singulière de l'existence (et des existants) que le choix de l'histoire comme terrain de bataille implique. L'aujourd'hui - et ses choix - dont parle Benjamin Fondane sont encore les nôtres et son livre a encore beaucoup à nous apprendre.

Éd. Verdier :
http://www.editions-verdier.fr/v3/index.php