André du Bouchet, "Un mot : ce n'est pas le sens", VVV Éditions, 2013, 100 p., 15€

Deux des trois inédits que nous proposent les éditions  VVV (97 Golf Links Drive, Halifax, Novia Scotia B3H 1E4) pourraient être regardés comme des essais. Le troisième est un ensemble de lettres d'Émily Dickinson à T. W. Higginson traduites par André du Bouchet. Ces traductions nous sont présentées dans l'ordre dans lequel le traducteur les a réalisées, non pas chronologiquement mais relativement à ce qu'il cherchait, probablement, à y entendre. Et effectivement elles entrent ponctuellement en résonance avec le premier essai qui donne son titre à l'ensemble. Ainsi, par exemple, cette formule d'Émily Dickinson qui remercie son interlocuteur de lui avoir adressé un  hymne, qu'elle juge prophétique - son père vient de mourir - et elle ajoute étrangement : "Il a assisté cette pause d'espace que j'appelle "Père"". Le chemin de réflexion que dessinent les deux essais qui précèdent ces lettres se donne bien pour horizon la question du sens, de son rapport au nom, à l'acte de nommer, d'inscrire et de tracer le mot sur la page blanche, moins pour la combler de présence que pour y faire pressentir, deviner le support de toute vision, de toute possibilité de sens. Les essais de du Bouchet - mais cette désignation générique ne convient probablement pas pour désigner un travail d'écriture qui se porte aux limites et dont l'objet est probablement la limite, l'au-delà, l'intervalle, le point de rupture et d'effacement - ces essais oeuvrent à même l'énigme du sens, dans la matière langage qui le conduit et ils le font en avivant les connivences de l'écriture avec la peinture, le tracé du dessin. Ils invitent le lecteur à une sorte d'aventure phénoménologique et requièrent pour faire sens la participation. L'ensemble des fragments est un formidable dispositif d'amplification de l'expérience la plus intime et la plus mêlée à l'évidence-monde, celle du face-à-face, de notre face que recouvre dans l'ouverture du regard l'afflux en images d'un monde qui nous fait face. L'on pourrait bien sûr songer à Bergson, à Merleau-Ponty :

visage sans lequel je ne pourrais avoir pressentiment de
mes yeux soustraits à ma vue lorsque je vois :
comme ajour  -  les deux n'en faisant qu'un  -
dans la face du support que moi également je suis.
         support qui n'est part du support, comme
une fraction illimitée du temps